Wednesday, December 9, 2015





     Se peut-il que le vrai ne soit pas vraisemblable ? 


L’hypothèse selon laquelle il n’y aurait aucune contradiction possible entre la vérité et son apparence (la vraisemblance) ne nous conduit-elle pas ainsi à ignorer, naïvement, la possibilité de l’erreur ou de l’illusion ? Comme l’enseigne la sagesse populaire, les apparences peuvent être trompeuses. Si le faux, ainsi, ne pouvait pas passer pour vrai, si, inversement, le vrai ne pouvait paraître faux, nul ne se tromperait jamais et la question de la vérité ne se poserait tout simplement pas. Toutefois, on peut se demander comment la vérité pourrait se signaler à nous si elle était invraisemblable et cela, radicalement. Comment pourrions-nous estimer vrai ce qui ne peut pas nous apparaître comme tel ? Dans une telle perspective, ne risque-t-on pas de développer une compréhension de la vérité pour le moins paradoxale ? Devrons-nous, en effet, estimer qu’une idée est vraie à proportion de son caractère invraisemblable ? Autant dire que plus une idée nous apparaîtra énigmatique, obscure et confuse, plus nous devrons l’estimer vraie. De toute évidence, une telle hypothèse ouvre la porte aux interprétations les plus irrationnelles, mystiques ou dogmatiques, de la vérité. Ainsi, toute recherche de la vérité suppose encore que nous soyons capables d’apprécier les signes qui la rendent manifeste, apparente.

Platon, l’homme devient alors « la mesure de toutes choses », ce qui revient à dire que tout jugement porté sur une chose est toujours relatif à la position de celui qui la considère, qu’il n’est pas possible de dépasser cette pluralité de points de vue pour déterminer ce qu’est la chose en elle-même. A chacun sa vérité, donc. Protagoras tire clairement la conséquence de sa thèse : « Telle une chose m’apparaît, telle elle est pour moi ; telle est t’apparaît, telle elle est pour toi ». Or, une telle conception revient à nier purement et simplement la possibilité de la vérité. Pour parler de vérité, il faut, effet, qu’il soit possible de trancher entre les jugements divers portés sur une même chose, de déterminer par-delà ce qui apparaît vrai à l’un et faux à l’autre, ce qui peut être estimé effectivement vrai. En ce sens, si l’on s’en tient à la simple vraisemblance, à la façon dont une même idée apparaît vraie à l’un et fausse à l’autre, il n’y aura plus à proprement parler d’idées vraies ou d’idées fausses mais simplement des idées plus ou moins capables de nous persuader, c’est-à-dire de produire en nous un sentiment de vérité. A l’exigence de vérité se substitue alors la capacité d’un discours à paraître vrai ou, autrement dit, à séduire son auditoire. 





DAVID NELSON
09/12/2015
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