Idiots et Imbéciles
La figure de l’idiot serait-elle un modèle pertinent pour cerner ce qu’est la singularité ? Chaque idiot, en effet, est un être particulier qui constitue à lui seul une unité, il est, comme le souligne à plusieurs reprises Pierre Senges dans son précieux ouvrage L’Idiot et les hommes de paroles « d’essence solitaire » et cherche constamment « une façon de préserver son isolement d’idiot tout en ne divorçant jamais de ses semblables ». Si l’idiot est toujours un être solitaire, cela ne suffit pas pour le rendre singulier.
Sa singularité, pourtant, ne dépend pas que de lui puisque ce sont essentiellement les autres qui le démarquent, l’isolent de tout groupe ou communauté. On est donc toujours l’idiot de l’autre lorsque ce dernier ne veut pas se reconnaître dans des comportements et des pensées qui lui sont tellement étrangères qu’il les rejette dans une vague catégorie dans laquelle il place – ne serait-ce que pour mieux les confondre et pour ne plus y penser – les imbéciles, les débiles, les handicapés-mentaux, les ahuris et, bien sûr, les idiots.
Sa singularité, pourtant, ne dépend pas que de lui puisque ce sont essentiellement les autres qui le démarquent, l’isolent de tout groupe ou communauté. On est donc toujours l’idiot de l’autre lorsque ce dernier ne veut pas se reconnaître dans des comportements et des pensées qui lui sont tellement étrangères qu’il les rejette dans une vague catégorie dans laquelle il place – ne serait-ce que pour mieux les confondre et pour ne plus y penser – les imbéciles, les débiles, les handicapés-mentaux, les ahuris et, bien sûr, les idiots.
L’idiot, pourtant, est loin d’être un imbécile et il est encore moins un abruti ou un débile. L’être débile est faible, dit le dictionnaire, en raison d’un manque de force spirituelle, en revanche il ne manque rien à l’idiot puisque c’est même la plénitude de son être qui signe sa singularité. Cette plénitude est faite d’authenticité, l’idiot est l’être qui agit de lui-même, qui, de sa propre initiative pense, se comporte et crée en fonction de règles qu’il s’est lui-même prescrites. Cette authenticité implique que l’idiot ignore, ou ne connaît pas distinctement, les codes, us et coutumes de la société dans laquelle il vit. D’où une propension pour toute société d’assimiler l’idiot à l’imbécile puisque ces deux figures ignorent les règles constitutives d’un « vivre-ensemble ». Il n’y a pourtant rien d’idiot dans la pensée de l’imbécile puisque l’intelligence de ce dernier se borne à croire en des vérités basses et vulgaires. C’est pourquoi l’imbécile n’a aucune singularité à revendiquer puisque son intelligence bornée l’incline à croire qu’il est toujours déjà, en son for intérieur, un être singulier. A contrario, l’idiot est cet être tellement intelligent qu’il ne se soucie pas de prouver aux autres qu’il l’est. Autrement dit, faire acte d’intelligence n’est pas un problème pour l’idiot, plus exactement c’est un faux-problème car il a compris qu’une existence ne saurait se résumer à une mesure et à une pratique de l’intelligence pour, avec ou contre autrui. Comme le voit Clément Rosset, l’idiot existe en lui-même et ce sont les autres, en vertu de sa singularité, qui le détachent de la foule :
Idiotès, idiot, signifie simple, particulier, unique . Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles existent en elles-mêmes, c’est-à-dire sont incapables d’apparaître autrement que là où elles et telles qu’elles sont ».
08/12/2015
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